Uchronie géologique, les gestes qui sédimentent

Uchronie géologique 43°51’46.9’’N 1°30’10.1’’E: mégalithe où méga = petit et litho = fragment, avril 2018, fragments de verre, cire, miroir, 90 x 210 x 35 cm.

Là où le verre respire

Le verre peut se briser, il est la matérialité du fragile.
Sa physicalité porte la potentialité de la fracture. Au niveau de la brèche, de la faille, des bords écorchés, à vif, on devine la chute, l’acte de violence.
C’est là que j’ai décidé d’oeuvrer, là où le verre respire.

Comme le verre, nous sommes fragiles, nous portons les potentialités de la chute et de la fracture. La fragilité est constitutive de l’humain, de la condition humaine. Elle est quotidiennement refoulée mais elle resurgit dans cette attirance pour les ruines.
Le dépôt d’or vient orner la chute, la feuille d’or révèle le trait.
Le bord, profondeur du contour, épaisseur de l’interstice.

Il reçoit aussi la cire chaude, grasse, le fluide chair qui sédimente. Cette matière est un absolu, elle navigue entre les règnes : animal, végétal, minéral.
À partir des bords, vers le vide, à l’inframince, peuvent aussi s’inventer des extensions, des prolongations, une croissance, ou encore un dessous, un sous le fragment, tel un iceberg, un arbre, toute surface de la biosphère possédant une profondeur insoupçonnée.

Les gestes se font temps, fluide, ils sédimentent. Il y a du géologique dans ce minuscule, dans cet infime, dans cette lente mais infinie répétition.
La sculpture est une histoire de couches et de gouttes. Les strates s’accumulent, l’artiste se prête au fluide, cherche la sculpture liquide.
Le fragment devient coquillage, fossile, minéral ou même paysage.
Cela indépendamment de sa taille, on passe d’une échelle à l’autre, mais il est toujours question de temps et de ce qui se dépose.
Le fragment est tout, le détail comme l’ensemble.

Le paradoxe du fragment, témoin de la perte d’une totalité mais en même temps parcelle absolue, apparaît encore sur la tranche, là où il y a coupure.
La brèche montre le manque.
Le verre lui-même est dans sa matérialité paradoxe, sa transparence le dissout dans le tout environnant, qui lui passe à travers.
Regarder dessous jusqu’à inverser, mettre le paysage à l’envers et la coulée vers le haut…
L’empreinte de la forme dessine d’infinies possibilités de prises de forme. Le lien entre les temps est ainsi fait.
Un ensemble d’êtres nouveaux naissent par symétries, translations, rotations du module fragment, de sa forme empreinte. Il peut aussi par sa présence, sa physicalité créer les ondes d’une forme en cristallisation chez les tissus pierre.

Chacune de ces unités, issues d’une violence faite à une totalité précédente, devient un tout, l’outil, l’atome d’un monde nouveau. Le fragment devient un motif, une particule élémentaire, en plus d’être un pont, point de suture entre passé et futur.